Ma vie en entreprise, une pièce en deux actes
Alors, bon, forcément je pourrais m´étendre sur ma nouvelle vie bordelaise, le choc et l´amertume de quitter Berlin, la difficile réadaptation, le manque, la pénurie de vrai travail, tout ca...mais je préfère, de loin, conter ma formidable expérience en entreprise privée. Type gros, très gros groupe. Une plongée en terra incognita. Immersion quasi totale de trois mois. Et heureusement finie. A croire que je préfère être pauvre et sauvegarder ma santé mentale.
Acte I: la petite marchande de souliers
C´est dans un contexte économique critique que j´ai refait, dans l´urgence, mon CV. Et ajouté une petite section: expèriences dans la vente. Elles remontaient certes à mes années étudiantes, mais vendre, c´est un peu comme faire du vélo. Ca ne s´oublie pas. Et puis des jobs de vendeuse, ma foi, ca court les rues. Dont acte. Dépôt de Cvs à l´aveuglette, en privilégiant la proximité géographique, soit un rayon de 800m autour de chez moi. Parce que quand même, je ne veux qu´un temps partiel (histoire d´honorer mon plan pige pour un magazine sur les 4 roues). La responsable de M. m´a accueilli en sauveuse. Et moi aussi. Jusqu`à ce je découvre la "salle de repos". Sur la porte d´entrée, un écriteau : Priorité Client. Ambiance. A côté du frigo, les 500 commandements de la bonne vendeuse M. et la sacro-sainte technique du SBAM (Sourire, Bonjour, Au-revoir, Merci, important de le préciser, sait-on jamais qu´on ait des pulsions de meurtres sur les clientes, il faut rester polie quand même). M. ne ressemble en rien à la petite boutique anglaise où j´ai préparé mes concours de journalisme. Où j´arrivais, certes à l´heure, mais passais le plus clair de mon temps à lire les journaux en sirotant du café (ah, souvenir de blueberry muffin aussi). Puis attendais le chaland. Non, à M., j´ai parfait ma technique du relacage de sandale...plus pour éviter de sombrer dans l´ennui que de m´attirer les foudres de la responsable, d´ailleurs. Une heure de pause et pas une minute de plus, sinon gare! Espionnage. Délation. Babillages inconsistants et débilitants de mes collègues. Non-utilisation du cerveau. Heureusement que j´ai une propension sans limite à la rêverie. Enfin. 20heures par semaine au SMIC, pas de quoi renflouer les caisses non plus. Crise de nerfs. Monter les escaliers. Descendre les escaliers. F91. F65. Vernis. Semelle cuir, penser à proposer un patin. Mon conseil à une (gentille) collègue, ne pas dire "c´est gratuit, ca coute 6 euros" dans la même phrase. Non, c´est la pose qui est gratuite.Le patin coûte lui 6 euros. (un conseil utile d´ailleurs, et qui m´a valu de chaleureux remerciements, les clientes la regardaient toujours de travers).
Puis enfin, le moment tant attendu. Redouté de tous. "C´est horrible, tu verras, horrible"... Les soldes! Des heures à coller des gommettes sur des chaussures dans une réserve surchauffée. Port obligatoire de la chemise à manche longue (par 35 degrés!), parce que quand même, il faut que l´esclave soit facilement identifié par la serial-shoppeuse. Ah, la shoppeuse! Seul bon point du calvaire, un certain apprentissage sur la nature humaine. Dingue comme le simple achat d´une paire de tong noire peut declencher des crises de doute. "Ca, ca va avec quoi?". Et puis la blague perpétuelle: "Vous qui vous y connaissez, hein, ca fait pas trop mal aux pieds? Ca va se détendre?". beh oui, les gens, ils croient forcément que vous êtes experte, voire cordonnière vous-même, sinon, vous seriez pas là, hein? Je garde ainsi un souvenir ému du regard compatissant de cette cliente le jour où j´ai appris à me servir de la caisse enregistreuse: "Ah, faut bien apprendre, c´est normal, j´attends, pas de problème". Las...j´ai fini par démissionner...car m´attendait une perspective bien plus excitante...
Acte II: Je suis pas une créative
C´est sur ce difficile aveu que ma période d´essai chez C. s´est achevée. Au bout de 4 jours. Un constat partagé par la directrice commerciale qui avait vu le douloureux résultat des 72 heures précédentes. Bah non, quand on est journaliste, ce n´est parce qu´on sait vaguement bidouiller sur photoshop que l´on est capable d´inventer un visuel pour une pub, même pas pour l´agenda des parachutistes de M-de-M. Ben non. Je n´avais pourtant floué personne lors de l´entretien. Mes expériences dans la comm sont totalement inexistantes mais je suis douée de plein de bonne volonté, j´apprends vite, je m´adapte, je sais lire-écrire-synthètiser, que diable! J´aurai dû me méfier quand la dir´co´, selon le jargon, m´a expliqué dans un large sourire "c´est un poste d´assistante communication mais comme il n´y a pas de service comm vous serez surtout assistante de vous-même". Et comme j´aime relever les défis...Ni d´une, ni de deux, me voilà dans la peau d´une assistante de comm au 35h, 9h-17h, avec un bureau avec des agrapheuses et du blanco, 300 collègues, un restau d´entreprise...et aucune idée de la tâche à accomplir. Malheureusement pour moi, la mise en place d´un nouveau logiciel financier (et surtout une fusion à l´horizon) accapare mes deux supposés référents. Et tandis qu´ils vont de réunion en réunion, je tente de percer à jour la complexité de ma mission en feuilletant les innombrables dossiers vert pale qui envahissent le bureau. Il est question de plan media, de salons, de papèterie à commander, de fournisseurs, d´argent, de budget...Fin de la première journée, je suis dans des abîmes de perplexité, vaguement assaillie par la culpabilité d´avoir fait semblant de travailler.
Heureusement, je suis accueillie le deuxième jour par un tonitruant "j`ai une mission pour toi!". Soupir de soulagement. Enthousiasme. Puis trois jours passés à apprendre à me servir d´un logiciel de retouche d´images pour créer cette fameuse annonce. J´en ris encore. Non, vraiment, dommage je ne peux pas vous montrer le fruit de mon travail. Les parachutiste de M-de-M n´auront peut-être pas l´année prochaine de pub pour C., mais je sais désormais me servir de Gimp. Satisfaction intense de relever un challenge: je ne sais pas m´en servir, mais ce soir, c´est sûr, j´en aurai fait quelque chose. Pas suffisant pour la boîte, certes, mais au fond, je le savais déjà : "je ne suis pas une créative"!
Voilà pour mes folles aventures des mois passés. Retour à la case angoisse du lendemain, envoi groupé de CV mais la lecon est bien retenue: ne postuler que pour des emplois qui m´intéressent et me correspondent vraiment...et rester à plus lointaine distance possible des entreprises aux codes si polissés. Pas pour moi. La recherche continue, mais, entre nous, je rêve profondément d´autre chose et de jours meilleurs...ach, mal sehen!
En cadeau bonus, la photo est un extrait du menu de l´hotel Mercure de Dresde. Parce que les logiciels de traductions automatiques n´auront jamais raison des vrais traducteurs....