Gesundbrunnen

Monsieur B. disait, l'écriture, ça s'entretient

Wednesday, May 31, 2006

Pernaudchainisation des esprits ou ma semaine en enfer


Par où commencer? Mise à jour laborieuse avec risque de réchauffé? Subtile ellipse car tout est contenu dans le titre? On devrait pas laisser son blog périmer. La reprise est dure.
Mes aventures journalistiques m'ont entraîné aux confins de la déontologie. "Je crois que tu n'as pas bien compris, ce qui compte, c'est les photos, pas le texte", m'a-t-il dit. C'était dommage, car n'étant pas photographe, j'avais plutôt misé sur le texte. Bon, si ce qui compte c'est de faire de "très belles photos" de l'endroit le plus kitch et le plus malsain du monde, pour raconter "la très belle histoire" de jeunes Croates dénudées qui baisent des hommes en peignoir jaune...alors, je me suis executée. J'ai souri poliment et visité les coulisses du "plus grand bordel d'Europe" (à ce sujet, c'est pas tout à fait vrai: c'est le plus grand car le seul du genre). Et raconté comment les filles "adoraient" y travailler. Au bout de deux heures, j'avais presque oublié qu'elles étaient nues, que sous son peignoir mon patron l'était aussi (ah oui, il nous fallait bien un figurant), qu'elles posaient devant l'objectif comme de vraies championnes de l'érotisme, que l'endroit me foutait la nausée (à cause du détergent?), que les chambres dégoulinaient de mauvais goût, que le passé de ces filles était sordide, que leur journée ne le serait pas moins, que mon grand-père était mort la veille...Bref, l'horreur, nerfs mis à rude épreuve.
Quatre heures plus tard, dans une voiture slovène en direction de Baden-Baden. Le photographe tente de me consoler, "Tu sais, le pire c'est pas les grands-parents, c'est quand les parents meurent. Ma mère est morte il y a trois semaines". Du coup, je me sens beaucoup mieux. Ce type est rassurant, "Tu vois, il y a trop de gens sur Terre, faut arrêter de faire des enfants. D'ailleurs moi, je me suis fait stériliser". Plus que neuf heures de route. A l'arrivée, choc esthétique. Vous êtes déjà allé à Baden Baden? Non? Ben, c'est une très jolie petite ville thermale, baignée par le soleil (en tout cas ce jour-là), une ville de poupées...qui sent très fort l'argent. Ce qui ne tombait pas si mal, vu l'objet du reportage ("Mais encore une fois je te le rappelle, il nous faut des photos!"): le sympathique musée d'art moderne que s'est fait construire un riche héritier fondu d'art. (pour plus d'infos, lire l'article si jamais il est publié).
Un choc esthétique, c'est le corps qui se laisse déborder par le contraste de ses émotions (intellectuelles?). Oui, je suis pas sûre de la formulation mais c'est comme ça que je l'ai vécu. Décuplé par l'experience que je venais juste de vivre. Favorisé par un état psychologique fragilisé. Et parce que je suis une incorrigible romantico-mélancolique. Bref. Tout autour de moi, trop de beauté, de raffinement, d'intelligence, de délicatesse, de luxe, d'art, d'arbres...Quand je suis arrivée au Palace 50 étoiles devant la petite-fille d'un célèbre peintre (oui,je sais je nomme personne, on n'est jamais trop méfiant)...ben, j'avais plus rien à lui demander. Mes autres interlocuteurs m'en avaient déjà tellement dit. Elle était bien née, et c'est tout. Moi aussi je suis la petite-fille de quelqu'un. ( et puis, j'étais terriblement impressionnée, désarçonnée par ses allusions à mille musées que je ne connaissais pas...)Bon, bien sûr, j'ai réussi à bredouiller quelques questions. Et elle m'a gentiment répondu.
Le choc, ça vous rend impulsif. Je me suis enfuie en courant dès la fin de l'entretien. J'ai sauté dans le bus. Trois quart d'heure plus tard j'étais dans le train, en route pour Berlin. Quand j'ai poussé la porte de la maison, vers une heure du mat', j'ai ressenti comme une évidence que j'étais ici chez moi.

Tuesday, May 02, 2006

Mayday

C'est écrit dans tous les guides de Berlin: le 1er mai, restez chez vous (à l'hôtel, j'imagine), gare aux manifestations qui dégénèrent, aux jets de Steinburger, aux punks et extrèmes qui envahissent la ville!
D'un naturel peu aventurier (et vaguement agoraphobe), je comptais suivre les bons conseils de mon Lonely Planet. Mais la curiosité me titillait. Surtout depuis que j'ai décidé de jeter le livre violet ( au bout de deux mois, ras le bol des repères à touristes). Et puis les autochtones ont achevé de me convaincre: si tu restes chez toi le 1er mai, tu rates une des plus grandes manifestations de l'année berlinoise. Bon. Je veux m'intégrer. Alors va pour les défilés des alternatifs. Je repère l'emploi du temps de la journée dans le Tagespiegel. Direction Kreuzberg. Au programme, deux manifs et une vraie fête de quartier. J'ai bien fait de pas rester chez moi. J'aurai raté un défilé bigarré, avec des jeunes, des vieux, des allemands, des turcs, des italiens, tous réunis sous des banderoles rouges aux slogans incompréhensibles (je lis pas le turc), des drapeaux de Mao et Lénine, des écriteaux exigeant les mêmes droits pour tous. J'aurai raté une fanfare psychédélique. Les incroyables crêtes des punks (des vrais de vrais, les punks à chiens de la rue Sainte Catherine peuvent se rhabiller). Je ne me serais pas découvert une passion pour les battles de breakdance. Je n'aurai jamais trouvé le ciné de plein air. Je n'aurai pas entendu de musique folklorique turque. Je n'aurai pas vu les femmes voilées regarder la fête depuis leur fenêtre. Ni celles au moins aussi nombreuses qui se mêlaient à la foule dans les squares ensoleillés. Je n'aurai pas eu l'impression d'être une Bratwurst dans un barbecue géant. Je n'aurai pas écrasé une larme devant deux minuscules musiciens de 5 ans.
Bref, je serais restée chez moi à attendre que ça passe, tranquille, sur le balcon. Et puis j'aurai lu le lendemain dans le journal local que cette année a été exceptionnellement calme. A peine une poubelle brûlée et trois provocations par ci par là. Loins du chaos annoncé, prévu par les 5000 Robocops venu en renfort des quatre coins du pays. Un constat incroyable: ça c'était bien passé!